dimanche 5 mai 2013

Ruser avec ses principes « de précaution »


LIBR'ACTEURS croit opportun de soumettre à la réflexion de ses lecteurs et sympathisants, l'analyse de l'un de nos membres experts, qui porte sur un sujet sensible, avec une mise en perspective d'un principe de précaution qui nous tient à coeur.
Merci de vos réflexions.


L’enfant occidental est devenu rare. Les couples se forment plus tardivement et sur d’autres bases que naguère 1.
Les études, puis la volonté de faire carrière, prennent souvent le pas sur la vie affective et familiale.
Selon le sociologue Paul Yonnet 2, le recul de la mortalité maternelle et infantile ainsi que l’avènement de techniques efficaces de contraception au cours du XXème siècle, ont donné à l’enfant un statut nouveau.
Il est désiré et semble être un bien suprême. Ainsi, les personnes qui ne peuvent enfanter pour des raisons physiologiques ou médicales, éprouvent souvent frustration et désespoir. Ils se sentent privés de ce « droit », apparu insidieusement au cours des dernières années, le « droit à l’enfant ».
Celui-ci place alors dans l’imaginaire collectif, la parentalité comme un droit intangible. Ce « droit », serait sur le même plan que d’autres droits, tels celui au logement ou encore celui à
une allocation sociale. Grâce aux avancées de la procréation médicalement assistée (PMA), chacun pense pouvoir obtenir une descendance et ne pas être frustré de l’amour de sa progéniture.
Puisque l’on peut, le « droit à l’enfant » s’exprime et l'existence d'un droit produit des revendications.

Mais il y a là un mauvais tour joué par le verbe « pouvoir » en français contrairement à d’autres langues : il ne distingue pas la possibilité technique de faire, de la
permission légale d’agir. C’est dans ce contexte que s’inscrit la question d’actualité de l’accès à la PMA pour les couples homosexuels, que l’on pourrait étendre aux femmes ou aux hommes célibataires.
En vertu du principe d’égalité faut-il répondre techniquement à ce désir d’enfant et ne pas laisser exclusivement à un homme et une femme en couple, le droit de donner la vie ?

Avant de prendre position pour l’une ou l’autre de ces deux visions de société, il faudrait s’assurer que les questions posées sur l’évolution psychique et sociétale des enfants nés dans ces nouvelles conditions, auraient trouvé réponse. Or, même si régulièrement des statistiques, souvent fragiles, des histoires de vie et de petites séries sont rapportées pour montrer que ces enfants ne sont pas différents des autres, un doute persiste.
Les positions contradictoires prises sur ce sujet par des psychanalystes, des philosophes ou des sociologues de renom en témoignent. Malgré cette incertitude, les tenants de la généralisation de la PMA minimisent dans l'argumentation, le discernement philosophique et les considérations anthropologiques ou spirituelles, au profit de l'émotionnel qui tiennent alors lieu d'arguments. Ils acceptent, sur l’autel du « droit à l’enfant », une inconnue qui peut éventuellement perturber l’avenir même de ces enfants à naître et à vivre dans des conditions inhabituelles. On ne sait pas précisément ce que le « droit à l’enfant » convoqué pour satisfaire ce puissant désir d’enfant, peut avoir comme effets sur sa vie future.

Alors, ne sachant pas répondre à cette question, la société semble prête à « ruser », selon la tournure du poète Aimé Césaire 3, avec certains des principes de la recherche clinique : puisqu’il y a ici un doute, la situation mériterait les mêmes attentions que celles habituellement exigées dans ce domaine.
Car enfin, pourquoi faut-il passer devant un pointilleux Comité de Protection des Personnes pour pouvoir donner le moindre placebo à un sujet qui consent à participer à une étude clinique et ne rien exiger de tel ici ?
Pourquoi le principe de précaution qui face à une incertitude conseille la prudence plutôt que l’audace et qui s’impose dès qu’une suspicion de risque pour la santé est évoquée, n’est-il pas invoqué
dans ce cas précis ?
Il n’y a pas de réponse univoque à ces questions. Cependant, en suggérant implicitement que l’enfant n’a pas les droits habituellement accordés aux personnes, il est à craindre qu’il soit pris avant tout comme un dû, comme une chose destinée à combler un manque.

Michel Hasselmann
Professeur de réanimation médicale, Président de l’ERERAL (Espace de Réflexion Ethique Région Alsace)

1. Luc Ferry. La révolution de l'amour. Pour une spiritualité laïque. Plon, col. Essai, Paris 2010
2. Paul Yonnet. Le recul de la mort. L’avènement de l’individu contemporain. Gallimard, Paris 2006
3. Aimé Césaire. Discours sur le colonialisme. Présence Africaine, col. Poche, Paris 2000

Vous pouvez retrouver et télécharger l'article original paru dans la lettre N°63 du CEERE

Photo : sculpture à Oslo - Norvège

4 commentaires:

  1. Christian LIEBER6 mai 2013 à 06:12

    La question du principe de précaution apporte une dimension supplémentaire au débat. Pour ma part je vous rejoins plus que volontiers au fil de ces lignes.
    Bravo.
    Comment ceux-même qui peuvent s'en éloignent-ils autant au sujet de la PMA ?
    Par idéologie ?
    Suspect ?

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  2. Monsieur le Professeur,
    Votre article et les questions qu'ils posent méritent , vous avez raison de le dire, une prudente réflexion et notre pays a élevé le principe de précaution au rang d'une valeur à part entière, on arrive même dans l'Éducation nationale à faire des "grèves de précaution."
    Quand on parle de la vie, on aborde l''éthique, mais sommes-nous bien placés pour parler d'éthique? Je pourrais poser la question autrement: y a -t-il de bonnes morts et par voie de conséquence de bonnes vies?
    Nous assistons chaque jour, et les médecins plus que d'autres, à des pertes de vie dont toutes ne sont pas naturelles que ce soit la décision de mettre fin à ses jours, que ce soit l'usage inconsidéré d'armes ou d'objets dangereux tels que l'automobile, que ce soit la consommation de substances toxiques, que ce soit le malheur de sauter sur une mine que nous avons vendue.... pour ne pas nous poser la question.
    Je suis personnellement mal à l'aise lorsque je vois d'un côté que nous laissons massacrer en détournant pudiquement les yeux des enfants sous les bombes en Syrie ou d'entendre que nous faisons des "guerres propres" que je trouve légitimes(tout le monde sait qu'il y a des dommages collatéraux et des victimes innocentes)et de lire que l'on protège de l'autre côté la vie de l'enfant en réglementant juridiquement et philosophiquement les conditions de sa naissance. La PMA est un progrès de la médecine moderne au même titre que les greffes d'organe et les nanotechnologies qui permettent à des praticiens de grande qualité d'effectuer, pardon pour cet aphorisme, des "frappes chirurgicales" sur des cellules défectueuses.
    Une civilisation qui s'octroie le droit au nom de la défense de ses valeurs d'ôter la vie ou au contraire de la prolonger grâce à des techniques et des pratiques très pointues au nom des mêmes valeurs n'est-elle pas rattrapée par ses propres contradictions?
    Je ne prétends pas avoir la réponse, j'aimerais seulement que l'on cesse de se retrancher derrière le principe de précaution pour ne pas agir ou empêcher ceux qui ont envie de le faire même si nous ne sommes pas d'accord avec eux tant que leurs actes ne sont pas attentatoires à la liberté et au respect d'autrui.
    Merci d'avoir posé la question, notre société est mal à l'aise avec ses valeurs et tant qu'elle n'aura pas fait la paix avec elle-même, elle ne saura pas régler d'autres problèmes plus vitaux.

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  3. Belle contribution aux reflexions de LIBR'ACTEURS, dont il faut sans doute penser que le moment venu votre association sera attentive si cette hérésie revenait sur le devant de la scéne.
    On a compris que vous étiez proche de madame LEPAGE, prêtresse du principe de précaution, et ardente adversaire avec le professeur CERALINI des ogm.
    A en juger par les 2 précédents commentaires, la question va faire débat, mais le parallele fait avec la précaution pour les cohortes sous palcébo est judicieuse, bravo et a retenir.

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  4. Mr le professeur, vous ecrivez " ......au profit de l'émotionnel qui tient lieu alors d'argument!"Rien a ajouter, mais convenez qu'il en sera de la PMA comme de la peine de mort en 1981, ou de la capitulation devant la lumpen islamisation e notre beau pays.
    Je suis avec interêt les efforts de LIBR'ACTEURS pour au moins ouvrir des débats, mais il est un moment ou le débat ne suffit plus il faut prendre les rênes!

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