lundi 4 mai 2015

Les Espaces de Réflexion Ethiques Régionaux : médiateurs de la parole citoyenne ?

Dans le cadre des interventions des LIBR'ACTEURS, vous trouverez un article qui est au cœur de notre démarche pour un citoyen acteur, participatif et qu'il faudrait écouter!


Depuis l’arrêté ministériel de janvier 2012 créant les Espaces de Réflexion Éthique Régionaux et Interrégionaux (ERER/IR), vingt et un sont opérationnels au niveau national.
Parmi les missions définies par cet arrêté, il est clairement spécifié que les ERER/IR doivent organiser des réunions publiques pour promouvoir l’information et la consultation des citoyens sur les questions d’éthique et ceci, en lien avec les autres espaces de réflexion éthique et le CCNE1.
Forts de cette mission « officielle », les espaces éthiques ont donc largement participé au débat sur la fin de vie dans leur région respective.
Ils y ont organisé de nombreuses manifestations pour le grand public, pour des lycéens et des étudiants, pour des membres d’associations ou d’instances éthiques locales, mais aussi pour des soignants. Leur but était d’éclairer les participants sur les questions qui aujourd’hui font débat dans le domaine de la fin de vie, mais aussi de connaître les sentiments, les craintes et les attentes de la population face à la souffrance et la mort.

Les données recueillies auprès de quelques 5000 personnes ont été transmises au CCNE, charge à lui d’éclairer le législateur dans son travail d’actualisation de la loi relative aux droits des malades et la fin de vie. Qu’est ce que ces rencontres ont révélé ? Tout d’abord des notions déjà connues, notamment la très mauvaise connaissance par le grand public de la loi Leonneti et des directives anticipées, en particulier leur mode de rédaction.
Un élément souvent retrouvé était aussi le caractère très obscur pour le citoyen des termes utilisés dans la loi, termes qu’ils confondent - limitation et arrêt thérapeutique, double effet, sédation. Cette confusion rend bien sûr difficile la compréhension de la loi. Mais ces rencontres ont aussi fait ressortir des données moins connues, comme par exemple la crainte de l’isolement et de la solitude, et celle de ne pas être entendu ou de ne pas faire face dans la phase terminale de leur existence.
Souvent également les citoyens ont exprimé leur peur de voir les enjeux économiques l’emporter sur les préoccupations d’ordre médical et moral. A l’issue de ces rencontres, un rapport de synthèse détaillé assemblant les données collectées par les ERER/IR, a été adressé à chaque membre de la Commission des Affaires Sociales de l’Assemblée Nationale afin de porter à la connaissance du législateur des notions importantes, pas forcément très connues. Mais qui en a tenu compte et comment ? Il est impossible de le savoir. Tout ce travail de terrain qui a mobilisé d’importants moyens humains et matériels, serai-t-il resté vain ?
Cette question n’est pas sans fondement car la critique sur la non-utilisation des données recueillies lors de débats publics ou de forums citoyens a déjà été faite en particulier lors de la révision de la loi bioéthique en 20112.

En France, la démocratie représentative fait loi ne laissant pas de place à la démocratie délibérative. Là où les citoyens ne peuvent pas se faire entendre, un élu par le dépôt d’un amendement lors du travail parlementaire, peut obtenir gain de cause.
Ce déni de la parole populaire fait que les enceintes institutionnelles traditionnelles sont suspectées et progressivement délaissées au profit de nouveaux espaces de sociabilité. C’est parfois par la manifestation, la contestation dans la rue ou sur un site naturel, quand il devient « zadiste »3 que le citoyen croit trouver une autre sorte de démocratie.
Ce n’est à l’évidence pas la solution dans le domaine de la bioéthique. Mais comment faire pour reconnaître la place du citoyen dans le débat public et pour tenir compte de son avis sur les problèmes de société ? Une solution passe peut-être par l’appui de la Commission nationale du débat public4 œuvrant actuellement dans le domaine de la protection de l’environnement.
En tout état de cause, il faut innover si l’on veut que les données recueillies sur le terrain ne restent pas lettre morte.

Il n’est pas tenable de faire croire au citoyen que son avis est important et digne d’intérêt et, le moment de la décision venu, ne pas le considérer.

Tenir compte des consultations citoyennes comme celles organisées par les ERER/IR, ne remet en cause ni la compétence, ni la légitimité du législateur. Mais les méconnaître, les renvoie au rang de simple caution pour des décisions prises en d’autres lieux et sur d’autres arguments.
Ignorer une des missions phares des Espaces Éthiques remet en cause leur crédibilité.

Michel Hasselmann
Lettre N°85 du CEERE Mai 2015.
Directeur de l’Espace de Réflexion Éthique Région Alsace
Professeur de Réanimation Médicale – CHRU Strasbourg




1 - Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé.

2 - Jacques Testart. Les Etats-Généraux de la bioéthique : un leurre démocratique ? Alternative Santé, octobre 2009

3 - Zadiste : ZAD : « Zone à Défendre ». Terme en référence aux opposants au projet d'aéroport du Grand Ouest à Notre-Dame-des-Landes.

4 - Commission nationale du débat public, 244 Bd St Germain, 75007 Paris – www.debatpublic.fr

1 commentaire:

  1. "Il n'est pas tenable de faire croire au citoyen que son avis est important et le moment venu ne pas en tenir compte!!!"
    Que cela est bien dit et quel bel article.Vous abordez la question a propos de votre spécialité, mais le déni démocratique est identique qu'il s'agisse des OGM, des déchets a BURES!Le mandat impératif est nul.....l'élu s'en prévaut, comme la CNDP et ce qui est plus grave comme le CESE qu'il va être urgent de reformer pour le fusionner avec le SENAT.
    Beau travail pour LIBR'ACTEURS, qui semble être de plus en plus écouté Bravo.

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