Le week-end dernier, deux tribunes (parmi de nombreuses autres) ont retenu mon attention. Elles portaient toutes deux (comme de nombreuses autres) sur le seul sujet qui nous préoccupe en ce moment, la gestion politico-scientifique de l’épidémie de Covid-19. L’une demandait un confinement de 20 jours en décembre pour stopper le virus, et passer de bonnes fêtes de fin d’année. La seconde invitait à accepter le risque modeste d’être contaminé car la politique actuelle créerait davantage de problèmes de santé qu’elle n’en résout. Les auteurs de la première sont Prix Nobel d’Economie. La seconde est l’oeuvre d’un neurochirurgien, chef de service dans un grand hôpital parisien. Deux analyses on ne peut plus opposées, deux analyses reflets de l’immense désordre et désarroi dans lesquels nous plonge la situation présente.
Aux prix Nobel, le Ministre de la Santé s’est senti obligé de répondre. Il ne fait pas de “plans sur la comète” mais “se projette au jour le jour avec [ses] batteries de chiffres”.
Est-ce trop demander d’attendre d’un Ministre une hauteur de vue qui lui permettre de penser une politique à moyen/long terme ? Ou qu’il prenne du recul face à la “batterie de chiffres” ? En temps d’incertitude, moins on peut prévoir, plus il faut projeter. Et revenons sur ces chiffres qui semblent eux-mêmes sources de bien des confusions….
Reprenons les ensemble. Celui qui est supposé nous éclairer tous les matins, mais peut-être nous éblouit, est le nombre de “cas positifs”. Autour de 12000/j depuis une semaine. Leur signification fait l’objet d’une forte controverse depuis un article publié dans le New-York Times, “checké” et validé pour l’essentiel par la presse française. Un “cas positif” ne serait pas malade (ni contaminant) dans 90% des cas ! En effet, selon les modalités techniques pour révéler la présence de matériel génétique viral, le fait d’être positif ne révèlerait que le fait d’avoir été en contact avec le virus, ou d’avoir été malade et guéri et bien sûr d’être malade. Cette situation avait déjà été pointée par quelques médecins inquiets de ne pas avoir de précisions des laboratoires sur ce point. Au final, ce nombre des “cas positifs” ouvre trop d’options pour en faire une source légitime de nouvelles réglementations.
Demeurent les hospitalisations, réanimations et décès. Souvenons-nous qu’en mars, de nombreux articles pointaient un manque de respirateurs et donc de lits adaptés au traitement nécessaire aux infections pulmonaires. Il était question à l’époque de 7000 lits. La menace de voir débordé la capacité d’accueil hospitalière fut déterminante dans la mise en place du confinement. Le gouvernement a-t-il tiré les enseignements de cette crise ? Accru le nombre de lits adaptés en hôpital public ? Ou, a minima, s’est-il mis en capacité de s’appuyer sur les cliniques privées qui avaient été laissées de côté au printemps ?
Les courbes et autres graphiques indiquant le nombre d’hospitalisations et d’entrées en réanimation marquent une augmentation début septembre et une stabilisation depuis. Sans minimiser ce que cela implique pour les personnes concernées, force est de constater que les patients sont beaucoup moins nombreux qu’au printemps. Et les décès aussi.
Et là se pose la question des arbitrages de la politique de santé publique. En effet, des bruits faibles mais récurrents essaient de se faire entendre depuis plusieurs mois. Médecins généralistes et spécialistes ont pointé à plusieurs reprises que nombre de malades chroniques (19 millions en France) suivaient moins bien ou interrompaient leur traitement, avec des conséquences évidemment dommageables à moyen-long terme.
Dans le même temps, le confinement et ses conséquences ont durement frappé les plus (économiquement) modestes d’entre nous. L’Insee indique ainsi que 30% d’entre eux ont vu leurs revenus se réduire. Or, il est connu depuis longtemps que la pauvreté a des conséquences directes sur la santé et la situation sanitaire des personnes. Le Secours Populaire compare la situation à l’après seconde guerre mondiale et précise que 45% de ceux qui le sollicitent lui étaient inconnus.
Une nouvelle tribune de médecins et scientifiques demandent une autre politique de santé publique. Faute de comprendre les motivations du gouvernement, certains évoquent des chiffres manipulés, un chantage au financement public de l’hôpital, … La défiance s’installe, peut-être durablement dans la société française.
Comme un reflet de notre malaise collectif, la politique de santé publique ne fait l’objet d’aucun débat démocratique. Aucune force politique supposée être dans l’opposition ne questionne la majorité sur les fondements de ce qui est décidé dans un quasi état d’urgence permanent. Comment est-ce possible qu’aucune autre approche de l’intérêt général n’émerge de nos représentants élus et de leurs partis ? C’est dire la faiblesse de notre démocratie….
Il est temps de regarder avec raison et objectivité les coûts et avantages de la politique de santé publique menée. Peut-on accepter un risque modeste d’être contaminé si c’est la meilleure façon d’éviter des drames plus importants ? La population française a montré sa capacité à se discipliner. Parions qu’elle peut aussi entendre un débat intelligent, contradictoire et sincère sur des choix, même douloureux, à faire. La question est aujourd’hui qui est en capacité de débattre ?
Eric LAFOND
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