6 millions de chômeurs peu ou pas qualifiés et un marché de l’emploi en mutation rapide constituent l’environnement de la réforme (promise) de la formation professionnelle. Le choix entre l’État, les partenaires sociaux et le "marché" est-il pour autant possible ?
Winston Churchill affirmait que "le succès, c’est d’aller d’échec en échec sans perdre son enthousiasme intact." Tous ceux qui ont promis ou envisagé un jour de réformer la formation professionnelle depuis 30 ans ont certainement cette citation à l’esprit.
E Macron proposait dans son programme, comme nombre de ses prédécesseurs, un "effort national de formation sans précédent" et "un effort massif pour l’apprentissage". Le sujet est même qualifié de "pierre angulaire" du programme sur le site d’En Marche (consultation close, mais on peut encore lire les questions). C’est dire l’importance de la promesse.
Un mot au préalable sur le contenu de l’expression. Souvent associée à l’apprentissage, elle n’a pourtant que peu de lien avec lui. L’apprentissage est une possibilité de formation initiale – acquisition d’un premier métier – par une voie alternative à celle de l’enseignement traditionnel. En conséquence, elle est plutôt pensée pour un public jeune afin de mieux l’intégrer sur le marché du travail.
À l’inverse, la formation professionnelle vise essentiellement un public adulte afin de permettre à celui-ci de compléter ses compétences, d’en acquérir de nouvelles, voire de changer complètement de métier.
Le lien entre ces deux notions est seulement motivé par le sentiment d’échec des politiques menées en leur nom ; identique et souvent associé à un gâchis de l’argent public.
Le lien entre ces deux notions est seulement motivé par le sentiment d’échec des politiques menées en leur nom ; identique et souvent associé à un gâchis de l’argent public.
L’État, les syndicats ou le marché ?
Concentrons-nous sur la seule formation professionnelle. À qui la confier ? Quels en sont les objecntifs ? Et les moyens ? Ce sont les 3 questions essentielles.
Le pouvoir politique dispose de trois possibilités pour confier cette responsabilité : à l’État et/ou aux collectivités locales, aux partenaires sociaux ou au marché. En France, nous avons fait le choix des seconds dans les années 70. Avec le succès que l’on sait. Le gouvernement envisage donc de changer d’option, mais le peut-il vraiment ?
L’hypothèse d’une compétence confiée à l’État ou aux Collectivités locales n’est rien moins qu’audacieuse. L’idée de réunir en "une seule main" l’action publique sur l’emploi, l’insertion et la formation" pourrait s’entendre si les politiques publiques menées au nom des deux premiers objectifs étaient efficaces. Si l’appareil public n’était pas trop souvent bureaucratique, lourd et sans imagination.
La confier au "Marché" ne serait pas moins audacieux. Politiquement, tout d’abord, tant nous sommes en France peu ouverts à cette idée. Pratiquement aussi, car les bouleversements sur l’organisation établie seraient considérables. À titre d’exemple, il faudrait ainsi monétiser les droits de CPF (compte professionnel de formation) pour rendre chacun autonome et libre de choisir ce que des organismes indépendants proposeraient. On perçoit les bouleversements que cela occasionnerait.
Le maintien entre les mains des partenaires sociaux serait perçu, à juste titre, comme un renoncement aux promesses de "transformation" du pays. Enveloppée avec des engagements aux bénéfices des demandeurs d’emploi sans qualification et une réforme technique de l’outil CPF, elle serait toutefois la voie de la facilité. Modifierait-elle les perspectives de la population active française et celles de notre organisation économique ? Peu probable.
Imaginer une nouvelle solution, remettre à plat mise en œuvre et financements
À l’instar du marché du travail, avec ses "insiders" et ses "outsiders", le champ de la formation professionnelle est largement inaccessible à ceux qui en ont le plus besoin. Dès lors, l’intérêt de la société est-il d’organiser des compléments de formation ou de générer une seconde chance à ceux qui n’ont pas optimisé la première – l’École – ? Pour l’action publique, j’opte pour la seconde réponse.
Outre les besoins constatés aujourd’hui – 6 millions de chômeurs peu ou pas qualifiés, et une population active modestement qualifiée –, les mutations rapides du marché du travail devraient nous inciter à concevoir un deuxième temps de formation dans une vie professionnelle s’étirant (bientôt) sur 50 années.
Outre les besoins constatés aujourd’hui – 6 millions de chômeurs peu ou pas qualifiés, et une population active modestement qualifiée –, les mutations rapides du marché du travail devraient nous inciter à concevoir un deuxième temps de formation dans une vie professionnelle s’étirant (bientôt) sur 50 années.
Si tel devient l’objectif – mais le débat ne devrait-il pas d’abord se concentrer sur l’objectif ? –, nous pouvons imaginer les moyens et l’organisation pour l’atteindre.
Face à la complexité de l’univers professionnel et la palette des formations et métiers possibles, il est impératif que l’instrument par lequel se déclenche le droit à l’acquisition de nouveaux savoirs soit simple, compréhensible par tous et rapide à mettre en oeuvre.
Face à la complexité de l’univers professionnel et la palette des formations et métiers possibles, il est impératif que l’instrument par lequel se déclenche le droit à l’acquisition de nouveaux savoirs soit simple, compréhensible par tous et rapide à mettre en oeuvre.
Dans sa situation actuelle, l’État est incapable d’être celui qui mettra en oeuvre. Trop lent, bureaucratique, trop éloigné du terrain, trop imperméable aux outils numériques. Les collectivités locales ne sont guère mieux loties. Les branches professionnelles sont bien placées pour l’accès aux métiers existants, aux aspects pratiques de l’apprentissage de métiers (parc machines pour l’industrie ou l’agriculture). Leur organisation est toutefois trop lourde pour se voir confier, seules, la mise en oeuvre du principe de seconde chance professionnelle. D’autres acteurs – associations, entreprises – participeront du transfert de connaissances et apporteront la souplesse et l’ouverture nécessaires aux évolutions du marché du travail.
Si la mise en oeuvre est partagée, le financement doit-il l’être aussi ? Faut-il en finir avec les comptes DIF, CPA et autres CPF ? Certainement, car après 20 ans d’activité professionnelle ininterrompue, un salarié dispose de 160 h de DIF/CPE : à quel nouveau métier peut-il accéder avec cela ? Aucun.
Les Français ont compris le principe "on cotise, on obtient des droits". Pourquoi ne pas reconstruire la formation professionnelle sur celui-ci ? Les employeurs abonderaient sur la fiche de paie, les travailleurs autonomes seraient libres de le faire, l’État abonderait le compte de chaque personne active pour sortir de la dualité in/out sur le marché du travail.
Une telle organisation fait le pari de l’autonomie de nos concitoyens. Elle n’exclut pas naturellement une régulation de la part de l’État quant à la valeur des titres professionnels ou diplômes délivrés par les divers formateurs. Elle n’interdit pas aux employeurs de déployer des outils complémentaires pour former leurs collaborateurs. Elle impose l’idée que l’élévation générale de la compétence de la population active est une responsabilité partagée qui ne saurait se voir accaparée par un seul acteur.
Eric LAFOND
Membre Fondateur de LIBR'ACTEURS.