Référence initiale : Lettre du CEERE avril 2014
Au rang des grandes questions sociétales, celle de la fin de vie, LIBR'ACTEURS donne ici à lire et à réfléchir avec une analyse, qui, à bien y regarder, interroge le libre arbitre, et par conséquent l'exercice de la démocratie.
Se suicider, n’est plus un verbe essentiellement pronominal.
La conférence de citoyens organisée le 13 décembre 2013 à Paris par le CCNE sur la fin de vie à fait surgir de l’inattendu dans le débat sur le suicide assisté : se suicider ne serait plus un verbe essentiellement pronominal.
En français, ces verbes ne peuvent se construire qu’avec un pronom réfléchi signifiant que l'action qu’ils définissent est exercée par le sujet sur lui-même. Ils n’ont de ce fait pas de forme passive. Ainsi, on peut s’évader ou s’évanouir mais on ne peut pas « évader » ou « évanouir » quelqu’un.
Se suicider fait partie des verbes essentiellement pronominaux, mais à un tel degré qu’il l’est deux fois en raison d’un pléonasme qui s’est glissé lors de sa création. D’après ses racines latines « sui » soi-même et « caedere » tuer, le verbe signifie, par sa structure même, que c’est « soi » qui agit contre « soi » pour donner la mort. Pour le dictionnaire Littré « Suicide équivaut à soi-meurtre ; se suicider équivaut donc à se soi-meurtrir. » Or, voilà que ce verbe obstinément pronominal, est l’objet d’une subversion grammaticale opérée par 12 des 18 membres de la conférence de citoyens. Selon eux, Le suicide médicalement assisté existe dès lors que la volonté de mourir a été exprimée par la personne (volonté attestée médicalement, assistance et administration ou non par un tiers.) Ils précisent : Nous distinguons dès lors deux possibilités : les personnes en capacité de réaliser cet acte et celles qui ont besoin d’une assistance.
Ainsi, la mort donnée par un tiers à une personne atteinte d’une maladie incurable qui en pleine conscience a manifesté la volonté de mourir, ne serait plus l’euthanasie comme définie aux Pays Bas, mais un suicide assisté. Il serait désormais possible de « suicider » quelqu’un, admettant par là que l’action contre « soi » ne serait plus faite par « soi ». Pourtant, en juin 2013, le CCNE dans l’avis N° 121 estimait à propos de l’assistance au suicide que cette légalisation n’est pas souhaitable. Mais il n’avait pas c’est vrai, opéré la subversion grammaticale. Ce qui a amené le groupe de citoyens à dénaturer le verbe se suicider repose, semble-t-il, sur le fait qu’une demande volontaire de mort équivaut, selon eux, à un suicide quel que soit le mode opératoire. Ainsi est placée au-dessus de tout, la volonté qui donne à la personne la faculté d'exercer un choix libre guidé par la raison, dans la visée d’une fin désirée. Cette prise de position participe du respect de l’autonomie de la personne, pierre angulaire de la relation-médecin malade contemporaine.
Toutefois, sans remettre en question la primauté de l’autonomie, on peut se demander si dans leur réflexion, les citoyens ont pris en compte le fait que l’expression d’une volonté n’est pas un acte et s’ils ne confondent pas dire et faire. Un sujet qui dit « je veux mourir » n’est pas toujours un sujet qui se tue. Par ailleurs, ils ont sous-estimé les conséquences humaines et sociétales de leur posture. Sur la personne du médecin tout d’abord qui, n’agissant plus selon sa volonté propre, devient l’instrument de la volonté d’autrui. Dans la proposition nouvelle, le médecin dont la mission historique est de soulager la souffrance et de protéger la vie, se trouve face à l’injonction de donner la mort. L’avis N° 21 réaffirmait pourtant il y a peu de temps le maintien de l’interdiction faite aux médecins de « provoquer délibérément la mort» protège les personnes en fin de vie […] il serait dangereux pour la société que des médecins puissent participer à « donner la mort. »
Il faudra bien des ressources au médecin pour faire tenir ensemble cette contradiction quand il lui sera demandé d’être « suicideur ». Il pourra peut être ne pas se poser trop de questions au nom de ce qu’il nommera compassion. Il pourra aussi être soutenu dans son rôle par l’idée que véhicule en elle-même la subversion grammaticale qui conduit au verbe « suicider ». En effet, elle le dédouane de l’acte mortifère car, même s’il injecte la substance létale, il pourrait se convaincre, en conscience, que ce n’est pas lui qui donne la mort mais bien la « volonté » de la personne malade qui agit. Il donnerait la mort sans être l’auteur de la mise à mort ce qui pourrait contribuer à banaliser l’acte.
La subversion grammaticale n’est pas non plus anodine pour la personne malade elle-même. Le fait que le suicide qu’elle demande soit exécuté par un tiers peut obérer une part de sa liberté. Dans le suicide assisté « classique », la personne libre, peut in extremis ne pas passer à l’acte. En Oregon, plus de 30% des personnes disposant d’une substance létale prescrite conformément à la loi sur le suicide assisté, ne l’utilise pas. Qu’en serait-il si un tiers est l’exécuteur ?
Les membres de la conférence de citoyens semblent troublés par cette idée quand ils rédigent Pour autant nous insistons sur la nécessaire vigilance à apporter dans les cas où le suicide médicalement assisté concernerait des personnes n’étant pas en capacité de réaliser le geste par elles-mêmes afin de prévenir toute dérive.
Mais la subversion grammaticale a peut-être un autre mobile : intégrer dans le suicide assisté l’acte d’euthanasie tel que défini au Pays Bas et ainsi libérer le mot euthanasie. Il peut alors être utilisé pour qualifier la mort donnée à une personne en fin de vie hors de sa demande. C’est ce que font les membres de la conférence citoyenne qui entendent par euthanasie le cas d’une mort médicalement assistée sans qu’il ait été possible d’obtenir le consentement direct de la personne. Position périlleuse tenue par le groupe au regard du code pénal français selon lequel « Le fait de donner volontairement la mort à autrui constitue un meurtre ».
Or il n’était pas utile d’en arriver là dans la mesure où le CCNE dans l’avis N°121 préconise le respect du droit de la personne en fin de vie à une sédation profonde jusqu’au décès si elle en fait la demande, lorsque les traitements, voire l’alimentation et l’hydratation, ont été interrompus à sa demande. Si cette subversion grammaticale est validée, elle pourra faire jurisprudence.
Un apprenti despote voulant se faire élire démocratiquement pourra « désister » ses adversaires politiques et « abstenir » les électeurs rétifs. Torturer la grammaire et le sens des mots pour servir une cause n’est jamais anodin, les régimes autoritaires l’ont montré. Les citoyens de la conférence du 13 décembre s’y sont essayé sans que l’on sache vraiment à qui ceci peut profiter. Il n’est pas utile de recourir à une subversion grammaticale dans un domaine où l’arsenal législatif, les différents avis et rapports en matière de fin de vie peuvent parfaitement être opérants. Il faut pour cela que la loi Leonetti, le rapport Sicard et l’avis N° 121 du CCNE soient connus, respectés et appliqués sans qu’il soit nécessaire de rajouter des lois aux lois.
L’existant peut assurer à la personne une fin de vie honorable, sans bafouer ce qui fait société. Pour le dictionnaire Littré « se suicider » est un barbarisme. Que dire alors de « suicider quelqu’un » ?
Michel HASSELMANN
Médecin, Professeur de Réanimation Médicale – Université de Strasbourg
Directeur de l’Espace de Réflexion Ethique Région Alsace
Votre article est, comme le précédent sur l’éthique, bien écrit et pose de vraies questions sur la fin de vie et sur le libre arbitre à un moment où notre système social montre ses limites.
RépondreSupprimerJ’aimerais mettre en parallèle l’autre bout de la chaine intergénérationnelle, la jeunesse. Plus d’un jeune sur quatre en France et en Europe est demandeur d’emploi ou en situation de précarité quand ce n’est pas d’exclusion. N’avons-nous pas commis contre ce que l’on appelle souvent une « génération sacrifiée » un suicide non pronominal pour préserver nos acquis ?
Le suicide est la deuxième cause de mortalité des jeunes juste derrière les accidents de la route. Si les comptes sociaux continuent à se dégrader, la question qui risque de se poser d’ici très peu de temps est de savoir qui d’eux ou de nous a le plus droit à un avenir.
Formidable eclairage, qui prouve que LIBR'ACTEURS dispose de belles plumes!.Abstenir un électeur, ou désister un candidat, voilà qui devrait pliare aux politiques de métier qui pourront continuer a jouer entre eux et faire plaisir a un Président qui dit" LA POLITIQUE EST UN METIER ET DONC INTERDITE A LA SOCIETE CIVILE".
RépondreSupprimercombien de temps les "veaux français" vont continuer a suporter cela,?
LIBR'ACTEURS nous habitue a des réfléxions sur la démocratie, cet article en fait n'y déroge pas.
RépondreSupprimerj'y vois les précautions qu'il va falloir prendre au moment ou beaucoup, et LIBR'ACTEURS est dans le lot, prône l'usage de conventions citoyennes pour etudier et proposer des mesures et réformes.dans le domaine qui est le sein le Professeur HASSELMANN éclaire particulmièrement bien les enjeux.je ne suis pas sur que les membres de la convention citoyenne dont il parle avaient bien toutes les cartes en mains.