Quelle Europe voulons-nous, dans son pĂ©rimĂštre, dans les souverainetĂ©s confiĂ©es, dans les solidaritĂ©s Ă  dĂ©ployer, dans ses alliances gĂ©opolitiques et quelle reprĂ©sentation parlementaire pour porter cette feuille de route ? À plus d'un an du scrutin, ces questions mĂ©ritent d'ĂȘtre clairement posĂ©es, sans ĂȘtre brouillĂ©es par des postures politiciennes, tant il est patent que beaucoup ne savent plus Ă  quoi sert l'UE et pourquoi elle a Ă©tĂ© crĂ©Ă©e.
Pour avoir eu le privilĂšge d'entendre R. Kovar comme professeur de droit "communautaire" naissant Ă  Strasbourg dans les annĂ©es 60, pour avoir ciblĂ© le droit des minoritĂ©s en raison d'une ascendance maternelle corse, le discours prĂ©sidentiel me conduit Ă  espĂ©rer qu'il peut constituer le coup d'envoi d'une large rĂ©flexion nationale. De celle-ci dĂ©couleront naturellement les modalitĂ©s de constitution d'une Ă©quipe de parlementaires europĂ©ens homogĂšne, car porteurs d'une mĂȘme mission.
L'UE est nĂ©e sur le rejet des excĂšs du nationalisme tel que connu en 40. Il faut avoir entendu, en direct, les pĂšres de l'UE, Monnet, Cassin, Schuman notamment, avoir travaillĂ© comme Ă©tudiant au Conseil de l'Europe, pour rester lucide et prudent. Cette construction politique voulue dans un contexte gĂ©ostratĂ©gique donnĂ©, peut mourir du fait des incohĂ©rences revendicatives et la trop grande disparitĂ© des États-Nation qui la composent. Le citoyen français doit prendre conscience que l'UE est une construction juridique et politique matĂ©rialisĂ©e par des instances et des flux financiers. Ce rapprochement librement consenti d'États est Ă  analyser Ă  l'aune du droit des minoritĂ©s.
À l'Ă©chelle de l'Europe, la France est une Corse avec ses spĂ©cificitĂ©s culturelles, linguistiques, voire religieuses. Elle s'est construite sur la perception de son territoire et sur une souverainetĂ© gĂ©ographique qui comprend la Corse. À cet Ă©gard, c'est Ă  juste titre que le prĂ©sident a pointĂ© les racines mĂ©diterranĂ©ennes et latines du pays, montrant en quoi la Corse est emblĂ©matique, avec son identitĂ© faite de voyages et d'ouvertures Ă  partir du bassin mĂ©diterranĂ©en. VoilĂ  pourquoi le dĂ©bat sur la Corse peut servir Ă  prĂ©parer l'Ă©chĂ©ance de 2019. En France, il y a la Corse, l'Alsace, la Bretagne et autres sans qu'il soit besoin d'un listage constitutionnel. À l'inverse, l'UE ne tient que par son cadre institutionnel.
DĂšs lors, quelles sont les souverainetĂ©s que la France, État-nation, est prĂȘte Ă  confier Ă  l'UE pour une construction purement politique ? Quelles valeurs ne sauraient ĂȘtre sous-traitĂ©es ? Rappelons ici que le droit des minoritĂ©s au sens "onusien" n'est pas reconnu par la France. Une minoritĂ© ne peut revendiquer au rang de ses droits civiques les droits matĂ©riels ou moraux particuliers. Au mĂȘme titre que la Corse ne peut ĂȘtre dans l'entitĂ© nationale un territoire "sui generis", la France au sein de l'UE ne peut, au grĂ© des vents, attendre des mesures de prĂ©fĂ©rence nationale ici ou lĂ .
En ce domaine, il faut ĂȘtre cohĂ©rent, comme la Corse ne peut ĂȘtre une exception dans la cohĂ©sion nationale, la France ne peut revendiquer Ă  Strasbourg et Bruxelles des particularismes rĂ©gionaux. La voix de la France doit ĂȘtre claire dans les domaines confiĂ©s Ă  l'UE pour ĂȘtre bien entendue lors de la redistribution rĂ©gionale des fonds europĂ©ens. Sur ce plan, la Corse, cƓur mĂ©diterranĂ©en de l'UE, Ă  beaucoup Ă  gagner.
Autant de points à bien expliquer et à débattre avant le scrutin de 2019, pour que le citoyen électeur vote en parfaite connaissance de cause. AprÚs l'imprévision pointée récemment dans ces colonnes, ce serait bien de faire montre d'anticipation.
R HASSELMANN
Article publié sur LES ECHOS.fr