En quelques jours les maux, les
fractures, les lignes de séparation au sein de la société française, sont
apparus clairement. Tout ce qui nous empĂȘche de “faire sociĂ©tĂ©” et menace de
nous diviser durablement est en surface, sans fard, sans la mise en forme des
discours politiques.
L’alĂ©a de la peur
La nouvelle attaque terroriste
(au sens premier du terme, qui vise Ă terroriser sans autre objectif que
celui-lĂ ) Ă Strasbourg est venue endeuiller la vie de dizaines de personnes, de
façon absurde et sans autre raison que celle d’avoir Ă©tĂ© lĂ . Cet alĂ©a,
transportĂ© par une interprĂ©tation folle de l’Islam, traverse nos sociĂ©tĂ©s, sans
contrÎle. Il nous effraie, avive des antagonismes, excite les différences et les
„identitĂ©s“, Ă©claire aussi nos faiblesses et nos doutes sur les principes
fondateurs de la société française (libertés fondamentales, laïcité).
La défiance permanente
La rĂ©action de certains “gilets
jaunes”, prĂ©sentant cette attaque comme accompagnĂ©e ou tĂ©lĂ©guidĂ©e par le
gouvernement afin de faire diversion et mettre un terme Ă leur mouvement, est
la face abjecte du ressentiment, moteur des manifestions depuis 15 jours.
Ce ressentiment est de la
dĂ©fiance. Nous sommes entrĂ©s dans une “sociĂ©tĂ© de la dĂ©fiance”. Le concept a
déjà été décrit par quelques économistes ou sociologues. Ceux qui la vivent
sont sur les ronds-points et devant les lycées. La colÚre et la peur ont pris
le pas sur l’adhĂ©sion aux institutions de la RĂ©publique. L’Ăcole n’apporte pas
de garantie, le systÚme judiciaire effraie, les médias et les organes
politiques sont des repoussoirs. Le “qui sont ces gens qui se prennent pour les
Ă©lites ?“ a remplacĂ© le „tous pourris”, encore inclusif — ils sont comme nous
mais corrompus par le pouvoir et l’argent -. Cette dĂ©fiance est le fruit d’un
quotidien oĂč rĂ©munĂ©ration modeste sans perspectives cĂŽtoie des charges sans
cesse en augmentation. Elle est l’enfant du dĂ©classement et du mĂ©pris ressenti
pour les pĂ©ri-urbain et les „banlieusards“, les nouveaux gueux des temps
contemporains.
De la „fracture sociale“ de 1988
au „renouvellement“ de 2017, le discours politique croit depuis longtemps
s’emparer de cette dĂ©fiance. Appropriation contre-productive, particuliĂšrement
pour les „marcheurs“. Le loi sur la moralisation vidĂ©e de son contenu
(non-cumul reporté, casier judiciaire écarté) ne sera pas compensée par la
nouvelle promesse sur le vote blanc. La parole publique vient en effet tous les
jours rompre ce qui nous unit. Le „rĂ©concilier la base et le sommet“ du
Président de la République est lourd de sens. Les propos sur les liens entre
les Ă©lites/dirigeants et le peuple sont dans la mĂȘme veine. Il leur manque
l’humilitĂ©, la modernitĂ© et l’exemplaritĂ© attendues des reprĂ©sentants pour
restaurer la confiance nécessaire en démocratie.
Le discours du changement et le
réel
Il manque aussi, et c’est le cas
avec les annonces récentes du Président de la République, la volonté de se
confronter Ă la complexitĂ© du rĂ©el. Ainsi, le marchĂ© de l’emploi s’est-il coupĂ©
en deux et la rĂ©ponse politique ne s’est pas adaptĂ©e. PrĂ©caritĂ© Ă©conomique pour
15 Ă 20% de la population active, absence de perspective pour la plupart de
ceux rémunérés autour du Smic, pressions bureaucratiques sur les personnes
inscrites à PÎle emploi ou au RSA, la part du réel qui ne voit aucun changement
ne cesse d’augmenter. Or, faute de comprendre cette nouvelle rĂ©alitĂ© et de s’y
adapter, l’Ătat est devenu un acteur „malveillant“ (contraire de bienveillant)
de ce marché.
Pas de renouvellement sincĂšre avant
2020
Ătre Ă©lu est une charge, non une
source de privilĂšges. Mais seules de nouvelles pratiques pourront convaincre
nos concitoyens et refabriquer la confiance, et cela prendra du temps. Il n’y a
rien à attendre des élections européennes. En revanche, les élections
municipales seront une occasion de renouveler les hommes et les femmes qui
s’impliquent en politique, de porter des solutions nouvelles et d’instaurer des
pratiques modernes. Et refaire société.
2020 se prépare maintenant.
Eric LAFOND