mercredi 6 février 2008

Rapport Attali : où est le sens ?

Avant de parler du fond, je voudrais d'abord interpeller le lecteur sur le sens de ce rapport .

En effet, il reprend des analyses et propositions qui ont déjà été faites par Christian Blanc en 2004 dans son rapport parlementaire sur «
l'écosystème de la croissance», et par la commission Pebereau en 2005 dans son rapport du même nom sur la dette publique.

De même, de nombreux économistes se sont déjà exprimés sur les clés de la réussite dans l'économie de la connaissance et les décalages que connaît la France par rapport aux autres pays développés, notamment concernant ses PME.

Nous savons que c'est l'innovation, tant marketing que technologique, qui permet à chacun, à chaque entreprise, à chaque pays, de trouver sa place, son positionnement et une valeur à apporter dans un marché mondial. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle l'obstination de l'UMP et du PS à vouloir fonder leur politique de croissance quasi-exclusivement sur la stimulation de la demande intérieure, que ce soit en favorisant le pouvoir d'achat des plus favorisés et d'une certaine catégorie de travailleurs pour le premier, ou en favorisant celui des foyers modestes pour le second, est aussi incompréhensible qu'invraisemblable.

Nous sortons d'une année de campagne présidentielle. Les débats et confrontations d'idées et de programmes ont eu lieu. Notre Président a exposé sa vision et les moyens proposés pour développer la croissance et l'emploi. Il a été élu pour les mettre en oeuvre. Il ne tenait qu'à lui de prendre plus sérieusement en considération les rapports de Christian Blanc et de la commision Pebereau, pour ne citer qu'eux !

Le plus fort est que le rapport Attali propose un pilotage des réformes plein de bon sens, mené au plus haut niveau de l'Etat et non délégué à un Ministre, ou, comme d'habitude, à une nouvelle structure administrative créée spécifiquement à cette fin. Les objectifs énoncés sont ambitieux, clairs et précis. Ils sont donc de nature à mobiliser les Français, les entreprises et les partenaires sociaux. Et leur réalisation est fixée sur 5 à 10 ans. Bref, ce rapport serait un excellent support de campagne présidentielle !

Mais celles-ci ont déjà eu lieu... et c'est là toute l'ambiguïté : sous couvert d'un rapport d'expert réunissant des personnalités diverses et reconnues, le rapport Attali donne une impression de neutralité et d'objectivité. Or, en imposant comme pistes de réflexion « la libération du travail », « la revitalisation du marché des biens et des services » et l'amélioration de la compétitivité des entreprises françaises, le Président de la République a fixé à la commission Attali un cadre étroit et orienté.

Manque de sens également ce long catalogue de 316 propositions (ou plutôt 316 « décisions », selon la formulation utilisée par cette commission qui s'adjuge, avec quelque arrogance, le pouvoir de « décider »), dont la qualité, l'importance et la pertinence sont très inégales. Dans ce flot de « décisions », on y retrouve d'ailleurs de façon surprenante des positions strictes sur des sujets tels que la carte scolaire ou l'accès à la propriété ...

Sur le fond maintenant, je ne reviens pas sur les réformes destinées à favoriser l'excellence de nos universités, de la formation et de la recherche, ou qui visent à transformer notre dette publique improductive en dette d'investissement : Je les soutiens pleinement.

Je salue l'importance donnée au développement des PME, point particulièrement crucial pour l'emploi. Je salue aussi l'affirmation selon laquelle les services proposés par les acteurs du secteur de la santé constituent une richesse et non pas une charge qu'il faudrait réduire.

Personnellement, je préfère qu'on réfléchisse aux moyens de financer notre système de santé et d'en améliorer la qualité plutôt qu'aux moyens d'en réduire l'offre et les remboursements. J'accueille ainsi très positivement l'idée de mesurer l'efficience et la qualité du système de soins. Les réformes proposées sur la gouvernance des hôpitaux devraient y contribuer.

J'apprécie également l'investissement proposé sur les secteurs à forts enjeux économiques, sociaux et environnementaux. Je voudrais simplement préciser qu'ils ne doivent pas faire oublier les autres secteurs : l'innovation et l'économie de la connaissance concernent tous les secteurs, y compris les plus traditionnels.

J'apprécie l'appel à la mobilisation pour l'emploi des jeunes et des seniors. De même, la recherche d'une meilleure protection des personnes dans leur parcours professionnel est judicieuse. Elle me semble bien plus pertinente que la protection de l'emploi, source de rigidité, de complexité et d'incohérences. Elle constitue pour moi un préalable indispensable pour développer la mobilité professionnelle, génératrice de dynamisme, de souplesse et d'enrichissement. Le lien entre une politique du logement ambitieuse et la mobilité géographique est de fait bien vu.

J'émets néanmoins un regret de taille : le fait que ce rapport se concentre essentiellement sur la dimension quantitative de la croissance, et peu sur sa dimension qualitative. Nous ne sommes plus au temps de la croissance productive, mais à l'heure de la croissance responsable et solidaire.

Le rapport Attali s'inscrit complètement dans le modèle économique et social dominant : celui qui place l'homme au service de l'économie et non le contraire. Ce rapport préconnise ainsi le développement du travail le dimanche en oubliant que ce jour est souvent le seul qui permette de se retrouver en famille ou entre amis, de lire, de se cultiver, de faire du sport ou de pratiquer sa religion (qu'on ne vienne pas ensuite nous parler de la richesse des racines chrétiennes de l'Europe et de l'attrait du Président de la République pour le Pape...!)

L'argent et la financiarisation sont mis en exergue. L'hôpital n'est plus seulement un lieu où l'on soigne des patients : on cherche à en faire aussi un commerce « attractif pour la clientèle étrangère fortunée ... »

L'urgence d'une réflexion profonde sur notre référentiel de valeurs s'avère donc plus criante que jamais ! On revient, encore et toujours, à la question ... du sens.


Lionel Lacassagne

Sources et crédits
La Documentation française
Libération de la croissance

3 commentaires:

  1. trés belle analyse, Mr LACASSAGNE;
    sauf erreur vous êtes proche de Mr HASSELMANN qui lui m^me a accompagné un temps C BLANC, avant de créer PROVIDENTIELLE puis LIBR'ACTEURS, pour ne pas cautionner oriehntations tronquées de Mr SARKOZY.
    Sauf erreur encore vous êtes au MODEM et m^me au nouveau Conseil national, vous devriez en parler a F BAYROU, pour qu'il comprenne que c'est avec des hommes neufs que l'on fait du neuf et non pas avec de vieux chavaux de retour de la politique qui continuent a trahir, pour un strapontin municipal!

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  2. @Anonyme,
    Vous nous connaissez bien, et votre mise en rétrospective est exacte.
    rendez nous cette justice ce que nous écrivons et qui prolonge nos analyses "anté" au sein d'ENERGIES DEMOCRATES, se révéle et se vérifie au jour le jour.
    En ce sens l'analyse de L LACASSAGNE sur le contre-temps du rapport ATTALI est frappée au coin du bon sens.
    S'agissant de F BAYROU, il reste effectivement une sorte de point géodésique, dans le tourbillon ambiant.Voudra-t-il aller au bout de sa logique?

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  3. @anonyme

    Ce que vous dites à mon sujet est vrai. J'ai eu l'occasion de présenter Libr'acteurs de vive voix à François Bayrou, qu'il juge au demeurant fort intéressant. De même, mes amis de Libr'acteurs connaissent mon engagement dans le MoDem, et je le précise ici volontiers en réponse à votre commentaire. C'est une question de transparence, principe auquel je suis profondément attaché, sur lequel je reviendrai d'ailleurs.

    Ces deux engagements sont pour moi très complémentaires. Les partis politiques, quels qu'ils soient, sont très concentrés sur le combat électoral. De son sôté, un collectif comme Libr'acteurs s'attache à réaliser un travail en profondeur selon une vision et sur des thèmes bien précis (cf. notre charte). Ceci dans une démarche de réflexion, d'information et de pédagogie envers l'ensemble des citoyens, sans logique partisane. Pour autant, la mise en oeuvre des idées par les instances executives, locales ou nationales, passe par des élections. En ce sens, les partis politiques demeurent utiles et nécessaires.

    Je m'investis donc dans ces deux espaces complémentaires sans mélange des genres, mais avec ma sensibilité humaniste et démocrate. Je tente d'apporter ma contribution à la construction du MoDem et à l'élaboration de son projet de société en m'appuyant sur mon parcours passé au sein d'Energies Démocrates et sur la richesse des actions et réflexions que je mène avec Libr'acteurs. Réciproquement, j'espère apporter un vécu et une expérience utiles (bien que récents !) de la vie et du fonctionnement d'un parti politique à Libr'acteurs...

    Bien Cordialement,

    Lionel Lacassagne

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