Si la question de la compétitivité de nos entreprises est éminemment centrale, encore faut-il la formuler correctement. Car, quoi qu’en disent les experts bienpensants, l’enjeu n’est pas tant de savoir comment baisser les charges qui pèsent sur les entreprises et sur la création d’emplois, que de déterminer quelles doivent être les finalités de ces éventuelles mesures. Classiquement, les forces d’opposition libérales rêvent d’une société où les entreprises contribueraient le moins possible au modèle social et au financement des services publics, selon la bonne vieille stratégie d’assécher les recettes pour mieux supprimer les dépenses publiques et organiser des transferts de compétences massifs de l’Etat vers le Marché ; quant à certaines mouvances de la gauche la plus radicale, elles militent au contraire pour contraindre davantage les acteurs économiques au financement d’un Etat-Providence sans limite et déraisonnable, comme si la problématique de la dette publique était une invention qu’il convient d’ignorer. Marx vs. Freeman : voilà à quoi se résume, hélas, le débat public autour de la compétitivité aujourd’hui.
Cessons de nous mentir. L’enjeu de la compétitivité doit s’inscrire dans un questionnement plus large, en tout cas structurel, sur notre modèle économique. Depuis Schumpeter, nous savons que les sorties de crises sont possibles qu’à la condition de penser l’économie de demain, d’anticiper les besoins des générations futures et d’apporter les innovations qui y correspondent. Or ces besoins, quels sont-ils ? Garantir que l’activité économique ne génère plus, sur le plan environnemental et sanitaire, des coûts externes que la société n’est pas en mesure d’assumer ; garantir que les générations futures soient formées à exercer des métiers à forte valeur ajoutée, et dont la rémunération leur assurera un niveau de vie décent, stimulant et sécurisant ; garantir enfin le moins de dépendance possible à tout ce qui présuppose, dans le monde économique, un aléa à court et moyen termes, qu’il s’agisse des variations de la Bourse et des effets de la spéculation, des doutes scientifiques sur les caractéristiques sanitaires et environnementales d’un produit, d’un service ou d’une technologie, ou du caractère soutenable de tel ou tel marché.
En somme, nous savons que la sortie de crise ne sera possible (et salutaire) que pour autant que nous engagions une réforme structurelle de notre modèle économique pour le rendre non pas durable, mais soutenable. En d’autres termes, que nous nous donnions les moyens pour changer les comportements de certains acteurs économiques qui, bien plus que les 35 heures ou le poids supposément excessif de notre Fonction publique, n’a cessé depuis 50 ans de faire du mal à la société et à générer des dépenses publiques que l’on aurait pu éviter (pollutions, accidents du travail, maladies professionnelles, soins hospitaliers, assurance chômage… pour ne citer que les plus évidentes).
Dès lors, si baisse de charge il doit y avoir – et cela parait indispensable, en effet, au moins à l’endroit des PME/PMI, des artisans, des professions libérales et, plus globalement, de tous ceux qui, avec peu de moyens financiers et humains, tentent de générer des emplois et de la croissance – elle doit avoir du sens. Le sens donné par l’engagement du pays vers son développement soutenable !
Le temps est venu de proposer de réelles réformes structurelles. En contrepartie de la baisse des cotisations patronales et salariales, modifions notre fiscalité sur la consommation et les entreprises : taxons lourdement les produits et les services qui génèrent des coûts externes importants (produits polluants et nocifs, produits à forte empreinte écologique, énergétique et sanitaire) et détaxons les plus vertueux ; taxons lourdement les entreprises qui ont de mauvais comportements sociaux (condamnations en prud’hommes, taux important d’AT/MP, recours non indispensable au travail précaire) et détaxons les plus vertueuses ; favorisons fiscalement les entreprises de l’Economie sociale et solidaire, les entreprises individuelles, les professions libérales et artisanales, le TPE/TPI ; récompensons les entreprises qui innovent, dans le souci du bienêtre de la société et de la préservation de l’environnement.
Et pour accompagner ce type de dispositif, engageons-nous enfin dans une série d’autres réformes, attendues depuis si longtemps : l’instauration d’une class-action qui transforme le consommateur en consom’acteur ; la réorganisation de nos autorités de régulation et de contrôle des Marchés et de leurs comportements ; la mise en valeur des investisseurs sociétalement responsables et des fonds réellement éthiques ; l’incitation aux stratégies de responsabilité sociétale de l’entreprise…
Depuis trop longtemps maintenant, la France est rentière d’un système économique mort. Ne cédons pas aux revendications de ceux qui grognent parce que leur rente est devenue nulle et qui voudraient que l’on saigne notre modèle social pour qu’on leur verse, malgré tout, un petit quelque chose. Soutenons au contraire tous ceux qui, par leurs comportements, par leurs innovations, par leur abnégation, essaient de construire le système économique de demain ! Ce sont eux, et uniquement eux, qui doivent être plus compétitifs.
Le gouvernement et la majorité présidentielle ont une occasion historique de changer les choses. Avec ce débat sur la compétitivité, nous avons la possibilité de conclure un contrat gagnant-gagnant avec les entreprises : moins de charges, pour plus d’éthique économique ; moins de charges, pour plus d’innovation vertueuse ; moins de charges, pour l’avenir soutenable des générations futures ! Saisissons notre chance. Le changement, c’est maintenant si nous le voulons vraiment.
Benoît PETIT
Maître de conférences & Avocat
Crédits Photo : Jeff PACHOUD / AFP